Eric Rémy présente au travers de ces 36 titres accompagné d'un livret de 32 pages et illustré de 13 photos, l'anthologie de l'interprète des « Goélands » et de « Sombre Dimanche ».
Il y a dame dans Damia. Pierre-Jean Vaillard
Distinctions : * * * EPOK / RECOMMANDÉ PAR LE NOUVEL OBSERVATEUR
« Les étiquettes, ça vous colle à la peau. Même 22
ans après sa mort, et 74 ans après ses premiers triomphes discographiques,
Marise Damien, dite Damia, sera toujours la Tragédienne de la chanson.
Qu'importe qu'elle ne soit pas cantonnée au répertoire dramatique (des trucs
comme Ploum, ploum, ploum visait à la rapprocher de Fréhel, qui avait la faveur
du populo), c'est dans le registre du pathos qu'elle s'est forgО une légende.
Il suffit de parcourir les 36 titres de Damia 1926-1944 pour s'en convaincre.
Le moins que l'on puisse dire, c'est qu'on ne rigolait pas outre mesure, chez
Damia. Oscillant dangereusement entre le mélo et le macabre, entre l'eau de vie
et l'eau de rose, des tableaux comme La veuve, Tout fout l'camp, La hantise, La
malédiction, J'ai l'cafard exigeaient une maîtrise parfaite des effets pour
passer la rampe. Le fait qu'une invective comme La suppliante puisse encore
nous prendre aux tripes aujourd'hui est bien la preuve qu'elle avait visé
juste. Hormis les quelques incontournables (parmi lesquels on retrouve Les
goëlands et La guinguette a fermé ses volets), ce survol - amoureusement
compilé et annoté, comme à l'habitude, par les gens de chez Frémeaux - est
remarquable par l'inclusion d'un Sombre Dimanche, traduction française d'une
complainte hongroise qui avait été bannie chez les Magyars pour cause d'incitation
au suicide, et que l'on retrouverait bientôt, sous le titre de Gloomy Sunday,
dans le répertoire de Billie Holliday. Comme quoi le cafard ne connaît pas de
frontières. »
L'EXPRESS
« Née avec la tour Eiffel,
morte 88 ans plus tard, la chanteuse réaliste a connu la misère et la gloire,
l’abus de drogue et l’excès d’amants. Deux disques célèbrent aujourd’hui celle
qu’on appelait “la tragédienne de la chanson”. Damia prétendait : “Il y a
quelquefois plus romance que la romance, c’est la vie !” Et l’égérie
d’avant-guerre savait de quoi elle parlait. N’avait-elle pas mené une folle
existence, une vie semblable à celles que décrivaient les goualantes
d’autrefois ? Peu après le décès de son père, un officier de police
lorrain, Marie-Louise Damien, 15 ans, quitte la demeure parentale de Rueil pour
échapper à la maison de correction. “Je bourlinguais déjà !”,
expliquera-t-elle plus tard. L’adolescente en fuite opte pour la bohème avec la
conviction de décrocher sous peu un contrat de figurante qui la mènera au
théâtre : “J’étais persuadée d’avoir une vocation de danseuse”. Mais les
semaines, les mois passent et, de contrat, elle n’en signe guère. Elle va de
désillusion en désillusion, si bien que, quelques saisons plus tard, ayant
épuisé ses maigres ressources, elle se trouve démunie au point de ne pouvoir
s’offrir ne serait-ce qu’à manger et à boire. Voilà quarante-huit heures que la
jeune fille en fuite, aux escarpins troués, est à jeun, misérable au point de
devoir renoncer à ce logis sordide loué pour quelques francs à la
semaine : une minuscule chambre perchée dans un immeuble chanci de la rue
Saint-Apolline, avec un lit-cage couvrant tout le territoire et une caisse en
paille pour contenir ses pauvres affaires. Au plafond, une ampoule sale
distille une lumière blanchâtre. Elle se résout à rassembler ses oripeaux et
claque la porte. Sur le boulevard Sébastopol qu’elle descend sans intention,
Marie-Louise Damien n’est plus qu’une silhouette vacillante qui tombe
d’inanition sur le premier banc venu. C’est une généreuse prostituée qui se
penche sur l’inconnue et la supporte jusqu’à sa chambre de passe pour lui
servir un repas. Attendrie, elle lui fait aussi une offre : venir coucher
sous son toit chaque nuit à partir de 2 heures du matin, après le départ de son
dernier client. Damia n’oubliera jamais cette femme qui l’a sans doute défendue
du pire. Гvoquant cette période, à la fin de sa vie, elle ironisera :
“Entre 15 et 17 ans, je n’ai guère mangé que des briques à la sauce caillou.”
Vient le temps des premiers petits cachets. Elle est d’abord engagée comme
figurante au Châtelet puis à la Cigale où, affublée de robes ridicules, elle
danse en chantant une ritournelle acidulée : “c’est nous les bonbons
anglais.” Grotesque certes, mais peut-être sent-elle que l’errance touche à sa
fin… Il lui faudra attendre l’année 1907 avant d’obtenir un rôle à la hauteur
de ses ambitions. A cette époque, Max Dearly et Mistinguett remportent un franc
succès au Moulin-Rouge avec un spectacle humoristique de danse, “la valse
chaloupée”, qu’ils projettent de jouer sur la scène du fameux Savoy de Londres.
Mistinguett étant déclarée persona non grata sur le territoire britannique pour
cause d’ “indОcence” (elle chantait les jambes écartées), Marie-Louise la
remplace au pied levé dans ce rôle de “Gigolette, fleur de printemps”. Malgré
le triomphe remporté, elle interrompt déjà sa carrière de danseuse. “A 17 ans
et demi, j’étais à Londres où je dansais avec Max. Roberty m’a dit :
‘Pourquoi tu ne chantes pas ?’, j’ai répondu ‘Pourquoi pas ?’. Robert
Hollard était un dénicheur de talents. Avant de s’intéresser à la toute fraîche
‘Fleur de printemps’, il avait lancé et épousé Fréhel qui le quittera pour
vivre au grand jour son histoire d’amour naissante avec Maurice Chevalier.
Roberty se console auprès de sa nouvelle recrue. Il commence par la
baptiser : à la scène, elle s’appellera Damia. Damia débute à la Pépinière
puis au Petit Casino, vêtue d’une robe mauve criarde et brodée d’or, coiffée
d’un bandeau et couverte de bijoux. Ses interprétations laissent à désirer, le
public ne s’y trompe pas. Il lui faut travailler encore et trouver son style.
Justement, un soir en coulisses, venu saluer l’apprentie chanteuse, Sacha
Guitry la questionne : ‘Pourquoi vous habillez-vous en dompteuse de puces ?’
Et Gédéon, le directeur de l’Alhambra, présent ce soir-là, ajoute : ‘Mais
oui, ce qu’il vous faudrait, c’est une robe noire toute simple, toute droite,
ne laissant voir que vos bras. Voyez-vous ?’ Guitry a lui-même
dessiné ce fourreau vertical qui laissait apparaître sa carrure de
sculpture grecque et ses beaux bras blancs qui allaient tant faire couler
d’encre. Cet écrin couleur corbeau, elle ne le quittera plus au long des trente
années à venir. D’autres interprètes de Piaf à Barbara, s’approprieront sa couleur…
A présent, Damia est la diva des caf’conç’. De l’Alhambra au concert Mayol, ils
sont chaque soir plus nombreux à venir applaudir celle qui, disait-on, se
donnait au public ‘comme chose nue’. Parce qu’elle est exigeante sur le choix
des chansons - elle préfère les poèmes mis en musique aux chansons simplettes -
et que son timbre grave tranche avec les aigus en vogue, Damia remporte les
suffrages. Les chroniqueurs saisissent leur plus belle plume pour évoquer cette
voix : ‘Faite d’un sanglot et d’une révolte mêlée’, ‘Véritable et
naturelle où les erreurs mêmes prennent un prix’, lit-on ici et là. Lorsque la
guerre éclate en 1914, Damia emporte ses sobres atours et ses chansons
réalistes : ‘la Chaîne’, ‘la Femme à la rose’, ‘l’Aigle noir’ (ante-barbaresque),
‘les Goélands’, son éternel succès au Concert Damia, un petit cabaret situé rue
Fontaine, ouvert pour elle seule par un adorateur. Elle s’y produit chaque soir
pour des prostitués en fourrure, des veuves de guerre, des hommes à femmes, des
ouvrières, des poilus et quelques bourgeoises. Au concert Damia, des parfums
entêtants se mêlent à l’épaisse fumée de cigarette et la drogue circule. Celle
que l’on surnomme déjà ‘la tragédienne lyrique’, ‘la grande’, ou ‘la muse du
peuple’, suscite le fanatisme. Un journaliste compare son magnétisme à celui du
tribun Danton. Après le récital dans les loges, les poilus réclament des
autographes, d’autres viennent simplement lui tendre un bouquet de
violettes. Et, tout en remontant la rue Fontaine vers le Moulin-Rouge, les
filles de joie encore frissonnantes échangent leurs impressions. ‘Il n’y a plus
que la grande pour me donner un frisson ! ’, s’exclament-elles. Les plus
fanatiques vont jusqu’à trainer au pied de son immeuble, rue de la Faisanderie.
Au beau milieu de la guerre, le concert Damia ferme ses portes. La chanteuse
reprend modestement le chemin des caf’conç’ puis des grandes salles qui
deviendront des music-halls : le Casino de Paris, Bobino, L’Olympia. Lors
de son premier passage boulevard des Capucines, Damia a le génie de réclamer
que soit tendu un tissu noir au fond de la scène pour couvrir la peinture
classique qui servait indifféremment de décor. Lors des répétitions, elle
s’entend dire par un technicien de l’Olympia : ‘Bravo, ça ressemble à un enterrement
de première classe ! ’ Ce à quoi elle répond : ‘Eh bien, dans ce cas,
mettez des lumières, des projecteurs ! ’ Damia introduisait tout
simplement un concert révolutionnaire dans le monde de la chanson : la
mise en scène. L’illustre fourreau noir sur fond noir laissait apparaître ses
bras pâles dont elle usait avec grâce. Il fallait la voir interpréter ‘le Fou’,
l’histoire d’un aliéné qui, par jalousie, venait de tuer sa maîtresse. Damia
achevait le récit à genoux, courbée de douleur sur un corps imaginaire, ses
cheveux brun-roux rejetés en arrière, le teint blafard et le regard vert pâle
illuminé d’une lumière rouge couleur sang. Dans la salle, le public laissait
passer quelques secondes plutôt que d’applaudir sur la dernière note. Cette
reconnaissance sans failles allait s’atténuer à la Seconde Guerre mondiale. La
chanteuse réaliste, alors sexagénaire, n’était plus au goût du jour, figure de
la Belle Epoque égarée dans une autre modernité. Lorsqu’elle interpréta des
chansons du jeune Léo Ferré sur la scène de l’Olympia, le public irrespectueux
cria ‘A la retraite ! ’, considérant à juste titre qu’elle en faisait
trop. Elle fit une dernière tournée triomphale au Japon avant de tirer sa
révérence sur une scène parisienne, jugeant sa voix et son corps trop abîmés
par ces années passées à consommer alcool, tabac blond, opium et cocaïne…
Jusqu’à sa mort, chaque année, autour du 5 décembre, elle accorda un entretien
à quelques journalistes histoire de fêter publiquement son anniversaire.
C’était aussi l’occasion, pour cette coquette femme, de montrer qu’elle savait
vieillir en beauté. Damia s’est éteinte en 1978.”
Sophie DELASSEIN, LE NOUVEL OBSERVATEUR
Inclus dans ce coffret : CD 1
1. Les goélands (1929) 02:56
2. La mauvaise prière (1935) 03:37
3. La veuve (1933) 03:41
4. La garde de nuit à l’Yser (1933) 03:09
5. La suppliante (1933) 02:27
6. La malédiction (1938) 02:40
7. Tout fout le camp (1939) 02:47
8. J’ai l’cafard (1930) 02:26
9. Hantise (1926) 02:53
10. La rue de la joie (1928) 03:13
11. L’étranger (1937) 03:14
12. En maison (1934)
02:43
13. Toboggan (1934)
03:16
14. Complainte de Mackie (1931) 02:17
15. C’est mon gigolo (1930) 03:04
16. Sombre dimanche (1936) 03:19
17. L’orgue (légende allemande) (1929) 03:22
18.
Johnny Palmer (1938) 03:03
CD 2
1. La guinguette a ferme ses volets (1934) 02:59
2. Ploum ploum ploum (1928) 02:55
3. C’est la guinguette (1936) 03:10
4. Aux quatre coins de la banlieue (1936) 02:45
5. Aimez-vous les moules marinières (1936) 02:42
6. C’est dans un caboulot (1938) 02:36
7. Celui qui s’en va (1936) 03:05
8. Mon phono chante (1935) 03:09
9. Pluie (1933) 03:06
10. Moi j’m’ennuie (1934) 02:59
11. Tout le jour toute la nuit (1933) 03:15
12. Personne (1938) 02:59
13. La chanson du passé
(1931) 02:50
14. Tourbillons d’automne
(1941) 03:21
15. Mon amour vient de finir
(1942) 03:13
16. Dans ma solitude (1943) 02:42
17. Ma rue (2000) 02:44
18. Le grand frise (1930) 02:48
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